Les Noirs de France : Une révolte qui dérange la République ou les racistes !

Les Noirs ont subi l'esclavage, la colonisation dans le passé, après l'indépendance, la néocolonisation avec par exemple la pré-carrérisation des Etats africains (Tchad, Congo, Centrafrique, Côte d'Ivoire, Gabon etc...), et aujourd'hui la discrimination stratifiée en France où sont nés des Noirs, ou pays qu'ont choisi de vivre des Afrodescendants. La France des colonies ou l'Empire colonial doit rester une France monocolore et monoculturelle, pensent les Français racistes. La révolte des Exclus ou des Rejetés de la République a grondé dans les banlieues d'abord de grandes villes. Et demain ? La conscience gagne le camp des Noirs et la peur monte chez ceux qui refusent le brassage ethnique (les racistes). Ils oublient une réalité : la France est en train d'être "colonisée" par le multiracial et le multiculturel pour devenir inévitablement une France multicolore et multiculturelle comme l'Afrique du Sud ou le Brésil. C'était peut-être sans doute le Grand Rêve des explorateurs, des esclavagistes, et des colonisateurs français qui va être exaucé !
Enquête sur la question noire en France


Un document choc révèle la face cachée de la galaxie noire en France. Les extraits que nous publions sont édifiants. (Auteur : J.-M.S.)

Il y a une «question noire» en France. «Ne dites plus les Blacks ou les gens de couleur, dites simplement les Noirs.» L'homme qui parle, Louis-Georges Tin, est un brillant normalien mais aussi un des porte-parole du Conseil représentatif des associations noires (Cran) qui veut fédérer les associations africaines et antillaises. Une vieille idée qui n'a trouvé sa concrétisation que l'hiver dernier, avec, penchés au-dessus du berceau, Fodé Sylla, Stéphane Pocrain, Manu Di Bango, Basile Boli... Une fédération qui ambitionne de représenter 5 millions de personnes, Ivoiriens, Béninois, Antillais, Nigériens, unis, souligne Tin, par «une histoire de souffrances liées à la seule couleur de leur peau.» Mais la «question noire» n'a pas attendu le Cran pour s'inviter à la une de l'actualité. Faut-il dater son émergence de la candidature de Christine Taubira, auteur de la loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité, à l'élection présidentielle de 2002? Faut-il évoquer les envolées de l'écrivain Calixthe Beyala contre la discrimination dans les médias ou les délires de Dieudonné qualifiant la commémoration de la Shoah de «pornographie mémorielle»? Pas simple car, on l'a compris, le pire côtoie ici le meilleur. Le 16 janvier 2005, les «indigènes de la République» lancent un appel contre «l'Etat colonial.» Un mois plus tard, les casseurs s'adonnent à des «ratonnades anti-Blancs» lors des manifestations lycéennes. En novembre dernier, ce sont les émeutes de banlieues «ethniquement homogènes». Quels rapports entre ces faits? Il est difficile sinon périlleux de mettre sur le même pied des groupes en mal d'identité et des pans entiers d'une population dynamique et créative malmenée parla crise. Les émeutes ont révélé aussi qu'au fur à mesure que les squats se vidaient leurs occupants, en majorité noirs, venaient remplacer dans les cités tous ceux qui gagnaient des quartiers plus valorisants. Des jeunes Noirs, nouveaux arrivants, qui n'ont connu que la crise économique (lire l'article de Frédéric Ploquin, p. 64) et qui se sont d'autant plus renfermés qu'ils n'ont jamais expérimenté la mixité.
Une chose est sûre: la couleur de la peau, hier jetée comme une insulte, est revendiquée avec fierté. «Est-ce un danger pour la République? Ou la fin d'une injustice?» Ces deux questions sont posées par le remarquable travail d'enquête réalisé par Géraldine Faes et Stephen SmithNoir et français!, Panama, 445p., 20 euros.. Un essai total puisqu'il mêle situations présentes et déboires du passé, scènes vues et analyses approfondies. Un appareil critique à saluer.
La véritable question qui vient en refermant l'ouvrage est: pourquoi un tel essai n'a-t-il pas été publié auparavant? Peut-être parce qu'il fallait un certain courage. Toujours est-il qu'il faudra désormais compter avec ce livre. Le Black Power à la française n'est pas - encore? - une force de proposition, mais il est déjà une source de réflexion.

EXTRAITS


«Des traîtres et des lâches»

Jour ordinaire dans un pays émietté: ce jeudi 23 septembre 2005 en début de soirée, dans une salle louée à la maison des Mines, résidence de passage pour les étudiants de l'Ecole des mines et des ponts et chaussées, dans le Ve arrondissement de Paris, quelque 150 personnes répondent à un appel pressant. Il émane des éditions Menaibuc, l'acronyme pour Men And International Books To Unify Civilization. Spécialisé dans la publication d'ouvrages traitant de l'histoire de l'Afrique et des Caraïbes, Menaibuc existe depuis une dizaine d'années et s'est doté, en 2003, d'une structure d'enseignement, l'institut Africamaat, qui dispense des cours de civilisations africaines. Son appel diffusé sur Internet, notamment sur le site grioo.com, «Alerte dans la communauté noire!», est signé par Jean-Philippe Omotunde, «auteur kémite [noir] originaire de la Guadeloupe, chercheur en histoire et enseignant.» Celui-ci explique s'être inspiré du célèbre livre de l'égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop, Alerte sous les tropiques, qui, en 1956, «révélait les faces cachées de tragédies qui allaient frapper les populations africaines, drames générés par un système néocolonialiste occidental voulant s'emparer par tous les moyens des richesses de l'Afrique au détriment de toute forme d'humanisme». Aujourd'hui, les périls à venir ne seraient pas moindres. «La négrophobie gagne du terrain», affirme l'appel. A 19 heures, la réunion [...] est sur le point de commencer. Le public, noir à trois exceptions blanches près, est composé à part égale d'hommes et de femmes. Moyenne d'âge: autour de la quarantaine. Tenue: plutôt élégante. Le droit d'entrée est de 5 euros, encaissés par deux dames, le service d'ordre léger, avec trois vigiles. [...]
Une animatrice annonce, comme une bonne surprise, la présence de Dieudonné. Bien qu'en représentation le soir même dans son théâtre de la Main-d'Or, il «a tenu à être parmi nous pour nous informer d'une affaire grave.» Surgissant d'une porte, très applaudi, l'humoriste franco-camerounais, en veste de treillis kaki, gagne l'estrade. Il explique: «Il y a trois ans, j'ai proposé un documentaire au Centre national de la cinématographie sur le Code noir», la table de loi de l'esclavage édictée en 1685, sous le règne de Louis XIV. «On me l'a refusé pour différentes raisons. Alors, j'ai lancé une souscription, qui a permis de réunir, pour l'instant, environ 30% du budget requis. Or, aujourd'hui, j'apprends que France 3 veut faire un film sur le Code noir! Sujet: «Un Noir tombe amoureux de sa maîtresse!» Ils ont trouvé le nègre de service pour réaliser ça. Je ne citerai pas son nom, des traîtres comme lui, il y en a à la pelle.» Rires dans la salle. «L'esclave amoureux de son maître, c'est un crachat à la face de notre histoire, du révisionnisme, du négationnisme! Il faut réagir! C'est une déclaration de guerre, une guerre ouverte! Ils disent:
- «Vous êtes amoureux de votre maître.» Pour l'instant, ils ont des traîtres et des lâches de leur côté, j'espère que ces lâches pourront se ressaisir... On va se mobiliser, on ne peut pas laisser faire cela. C'est une bataille terrible, une bataille de la mémoire. Ils ont choisi de nous insulter, il faut réagir.» La salle l'ovationne. Egalement à la tribune, Joby Valente, une ancienne actrice et chanteuse martiniquaise, vice-présidente du Collectif des filles et fils d'Africains déportés (Coffad), précise qu'elle a parlé, la veille, au «réalisateur traître, pour le mettre en garde». Elle n'indique pas son nom, mais on apprendra par la suite sur divers sites Internet qu'il s'agit du Guadeloupéen Jean-Claude Flamand-Bamy, réalisateur d'un long-métrage, Nèg Maron, produit par Mathieu Kassovitz et qui est sorti en salles en janvier 2005. Sans rencontrer de grand succès, ce film traitant des problèmes sociaux aux Antilles à travers l'amitié entre deux petits délinquants avait été remarqué. Toujours sans le nommer, Joby Valente rapporte que Jean-Claude Flamand-Barny a hésité à accepter la proposition de France 3. «Mais ma femme m'a convaincu que c'était une grande chance, lui aurait-il dit. Depuis, je reçois des mails d'insultes et des coups de fil menaçants.» Des cris fusent dans la salle: «Bien fait!», «Son portable, son portable!», «Ce n'est qu'un début!» Dieudonné s'assied au premier rang pour céder sa place à la tribune à l'un des intervenants annoncés de la soirée, Jean-Philippe Omotunde. L'historien prend des libertés avec son thème - «Le rôle des médias dans la marginalisation de la communauté noire» - pour élargir son propos. «Notre problème, c'est qu'il faut qu'on se lave le cerveau au Karcher, qu'on cesse de se déterminer par rapport aux Blancs, affirme-t-il. Les images de l'Afrique sont faussées, tout ce que l'on nous montre est faux: l'oeuvre française en Afrique, l'aide humanitaire...»

Scandale d'outre-Rhin
«Scandale outre-Rhin... Le 12 juin 2005, un village africain, véritable zoo humain comme au XLXe siècle, fermait ses portes dans le zoo d'Augsburg en Allemagne après avoir rencontré un vif succès.» Ainsi débute, par un chapeau en gras, l'article de Pascal Blanchard, historien de l'imaginaire colonial, et d'Olivier Barlet, rédacteur en chef de la revue Africultures, qui se conçoit comme «un espace de libre parole où se retravaille la fracture coloniale» et qui publie ce texte cosigné sous le titre: «Le retour des zoos humains». On y apprend qu'à l'instar des exhibitions de «sauvages» qui étaient très en vogue dans l'Occident au XIXe siècles et au début du XXe, des Africains ont été exposés pendant quatre jours dans un zoo allemand. «Des «nègres dans un zoo», décidément l'Occident a du mal à faire sortir l'Autre de la cage et semble reproduire éternellement les mêmes modèles», commentent les auteurs, ajoutant plus loin: «Et voilà quelques milliers de visiteurs, dont beaucoup d'enfants, qui, comme les millions qui auront précédé - notamment au Jardin d'Acclimatation à Paris, haut lieu de ces exhibitions au début du siècle -, associeront plus facilement les Africains au monde de la nature qu'au monde de la culture; qui dans quelques années, lorsqu'ils seront devenus supporters de football, lanceront des bananes et pousseront des cris de singes lorsqu'un joueur «un peu bronzé» entrera sur le terrain...»
Le message est clair: le racisme vient du colonialisme, qui nous a fait entrer dans un rapport d'altérité dont nous n'arrivons pas à sortir. Ce n'est sûrement pas faux, en général. Mais, en l'occurrence, ce qui s'est passé à Augsburg ne saurait être présenté comme un remake des «zoos humains» du XIXe siècle. Car, annoncé par une banderole à l'entrée du zoo, l'African Village - le recours à l'anglais permet aux organisateurs allemands une distanciation, de la même manière qu'on parle, en français, d'un boy - était en fait un bazar africain, une allée de stands, au demeurant tenus, pour les trois quarts d'entre eux, par des Blancs. Le «vif succès», aussi, doit être relativisé. [...] Entendons-nous: il est parfaitement légitime de crier au scandale quand la directrice d'un parc animalier, tout comme d'ailleurs le maire d'Augsburg, Paul Wengert, estime que le zoo est un lieu approprié pour permettre aux associations africaines d'accéder enfin au grand public, voire «précisément le bon endroit pour communiquer l'ambiance exotique», comme l'a soutenu Barbara Jantschke. Mais, par quelque bout qu'on prenne l'affaire, ce qui s'est passé à Augsburg n'est pas le même scandale que l'exhibition des Noirs au temps colonial.
Voilà une bonne leçon - inaugurale - pour l'histoire des présences noires en France: le présent et le passé ne sauraient être confondus. L'exemple d'Augsburg en est une illustration, mais il faut encore aller plus loin. Car, quand bien même des événements identiques se produiraient à l'initiative d'égales intentions, le contexte aura forcément changé. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de la médiation temporelle - des changements subis à travers le temps - qui donne, littéralement, son sens à l'histoire. Ce sens se déchiffre à l'endroit et non pas à rebours. Quant à juger a posteriori les «bonnes» ou les «mauvaises» intentions liées à un événement, George Steiner met en garde contre le solipsisme de cette entreprise hasardeuse: «L'histoire, au sens humain, est un filet de langage lancé en arrière.» Dès lors, puiser avec des mots-valises d'aujourd'hui dans les eaux troubles d'hier n'est guère propice à la compréhension même si, souvent, la pêche se révèle miraculeuse.

Ces héros méconnus
Vers la fin de l'année 1939, 66 000 soldats subsahariens se trouvent sur le sol français. En juin 1940, 620 000 coloniaux - 10 fois plus - auront été mobilisés: 300 000 en Afrique du Nord, 200 000 en Afrique noire, 116 000 en Indochine. Les combats de la campagne de France au printemps 1940 sont brefs mais terriblement meurtriers pour les troupes d'outre-mer. Les tirailleurs sénégalais y perdent 38% de leurs effectifs et un grand nombre d'entre eux se trouvent derrière les barbelés allemands, dans des camps de prisonniers. Sur les 64 299 tirailleurs jetés dans la bataille entre le 10 mai et le 25 juin 1940, 24 271 sont tués ou portés disparus. Les Allemands exécutent sommairement plusieurs centaines de prisonniers noirs, par exemple le 20 juin 1940 à Chasselay, près de Lyon, où un cimetière abritant 188 corps, appelé «Tata soudanais» (ou, parfois, «sénégalais»), a été aménagé par la suite pour commémorer leur sacrifice. Pendant la campagne de 1940, les pertes des unités subsahariennes sont nettement supérieures, en proportion, à celles des régiments français. Au total près de 30 000 soldats originaires de l'Afrique au sud du Sahara perdent la vie, presque autant que pendant les quatre années de saignée qu'avait été la Grande Guerre.
D'abord envoyés en Allemagne, les prisonniers de guerre africains sont ensuite rapidement ramenés en zone occupée, en France, par peur de maladies tropicales ou d'atteinte à la «pureté du sang aryen». Dispersés dans 57 camps, appelés Frontstalag, dont celui de Vesoul, le camp de discipline pour les «indigènes coloniaux», les soldats noirs détenus seront encore, le 31 décembre 1943, 10 475. Certains d'entre eux parviendront à s'évader, ou seront libérés par les Forces françaises de l'intérieur (FFI), qu'ils rejoignent souvent.

Engagé volontaire en 1944, le colonel français Maurice Rives, coauteur de Héros méconnus, a rendu un hommage aussi émouvant que sobre aux tirailleurs africains engagés dans la Résistance. Selon ses estimations, ils étaient en 1944, l'été de la Libération, entre 2 000 et 3 000 à se battre au sein des FFI, dans une trentaine de départements. [...] «Nous sommes venus d'Afrique pour libérer la France...» Voilà ce que chantaient, en août 1944, des soldats noirs voguant vers les plages de Provence. Au moment du débarquement, les forces françaises - FFI non comprises - comptaient 550 000 hommes, dont 92 000 Africains: 42 000 levés en Afrique de l'Ouest, 23 000 en Afrique centrale et pas moins de 27 000 Malgaches. L'empire colonial permit à la métropole occupée de «se refaire une armée et une souveraineté», comme devait le résumer le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre.

Mais [...] cette égalité et cette fraternité prirent fin en même temps que les combats. Du jour au lendemain, les Noirs redevenaient des gens de seconde zone, logés ailleurs, mis à part pendant les repas. A la Libération de Paris, le haut commandement français invoqua la «mécanisation» de la division Leclerc par les Américains, favorables à ce prétexte qui fut un déni de gloire, pour exclure les Africains - des troupiers de base dont, prétendument, pouvait se passer une unité mécanisée - de l'entrée victorieuse dans la capitale. Quelques jours plus tôt, «le Lion noir du XVIIe», un certain Duckson, avait encore été bon pour abattre tous les occupants d'un char ennemi dans son arrondissement.

Deux cents Saint-Bernard
Au cours de la décennie, tandis que la population étrangère diminue globalement, selon les statistiques de l'Insee, le nombre des immigrés originaires d'Afrique subsaharienne double presque, passant à 400 000. Près des trois quarts d'entre eux vivent dans la région parisienne. La plupart en banlieue, mais d'autres dans Paris intra muros, où les premiers quartiers «noirs» voient alors le jour. Le plus grand d'entre eux est celui de la Goutte-d'Or, dans le XVIIIe arrondissement. Africains et Antillais y succèdent, historiquement, aux différentes vagues migratoires qui, avant eux, ont déferlé sur la capitale en tentant d'y prendre pied, des «provinciaux», aux Maghrébins en passant les Italiens. Né autour du métro Château-Rouge, leur quartier s'étend vite vers le sud et, surtout, vers l'est. Au coeur de cette «Petite Afrique», le marché Dejean devient le point de rencontre de la communauté afro-antillaise de la région parisienne. [...] Si, probablement, y vivent en moyenne trois fois plus d'Africains et d'Antillais que dans tout autre quartier, on ne peut parler d'un ghetto à l'américaine puisque des gens de toute origine, y compris des «vieux Parisiens», s'y côtoient. Mais, lorsqu'on se promène autour du square Saint-Bernard, près du bar de L'Olympic, dans la rue Léon avec ses prostituées ghanéennes, ses boutiques de wax hollandais et de cassettes africaines, lorsqu'on s'arrête devant les vitrines de cosmétiques et les coiffeurs «ethniques» de la rue Myrha, ou qu'on entre au n° 1 de la rue de Panama, dans la plus africaine des poissonneries du quartier, on ne peut s'empêcher de penser à une «Little Africa». C'est ici, dans l'église Saint-Bernard, que se joue le troisième et dernier acte de l'exception coloniale qui prend fin pour les Africains en France: le 23 août 1996, au creux de l'été, dans un Paris abandonné par ses habitants, des policiers défoncent à la hache les portes de l'édifice religieux pour évacuer, manu militari, les familles de «sans-papiers» - environ 80 personnes - qui y avaient trouvé refuge depuis plusieurs semaines. Le médiateur du conflit, Stéphane Hessel, n'est pas seul à être «choqué, attristé, scandalisé». Quelques jours plus tard, en guise de solidarité et de protestation, un imposant cortège remonte le boulevard Magenta, derrière une banderole sur laquelle figure en grosses lettres: «Vive l'Afrique!». C'est une tragique méprise, malgré la bonne intention.
Car il eût été temps, déjà, de marcher pour les «Africains de France», voire pour les «Français noirs». Ceux qui viennent d'être délogés de l'église Saint-Bernard et, pour certains d'entre eux, viennent d'être expulsés vers l'Afrique vont tous - à l'exception de deux Maliens - être régularisés par la suite, ou revenir illégalement en France. Pour une raison simple: c'est déjà bien plus leur pays que n'importe quel autre. Impliqué dans l'affaire pour avoir - avec succès - organisé un concert de soutien aux sans-papiers dans l'église, l'acteur Sanvi Panou en est conscient, au point de lancer un Conseil supérieur de la communauté noire en France (CSCNF).
Trop tôt, l'affaire n'aura pas de suite. Mais l'Etat français, empêtré dans l'inapplicabilité de la loi Pasqua, ne tardera pas à se rendre à la même évidence, un an seulement après sa démonstration de force: en 1997, il régularise la situation juridique de 15 700 immigrés illégaux - soit 200 églises Saint-Bernard.

La colère des pharaons
Tous les chemins initiatiques mènent en Egypte. Mais celui de Stellio Gilles Robert Capo Chichi est assez singulier. Dans les années 80, la diffusion par la télévision française de la minisérie de douze heures tirée du roman Racines d'Alex Haley bouleverse, parmi beaucoup d'autres, ce jeune Français d'origine haïtienne de 14 ans. Racines raconte la saga d'une famille afro-américaine, depuis la déportation d'Afrique de Kunta Kinte comme esclave, en 1767, jusqu'à l'émancipation de son descendant, six générations plus tard, gagnée de haute lutte dans la guerre de Sécession. Le livre, paru en 1976 aux Etats-Unis, puis le feuilleton télévisé ont été des succès planétaires, une révélation pour les communautés noires à travers le monde. Le livre a été traduit en 37 langues, son auteur primé d'un Pulitzer, la série télévisée diffusée sur tous les continents. Quant au jeune Stellio Capo Chichi, il a pris conscience du fait que «les discriminations, humiliations et exactions n'étaient pas des procédés appliqués à [sa] seule famille mais bel et bien à l'homme noir en général». Son éveil à la conscience noire s'est poursuivi grâce à des films comme Malcolm de Spike Lee, sorti sur les écrans en 1993, ou à ce qu'il entendait de la Million Man March organisée par Louis Farrakhan le 16 octobre 1995 à Washington. Quelques années plus tard, Stellio Capo Chichi part en voyage à Los Angeles où il assiste, dans une mosquée, à un meeting de la Nation Of Islam (NOI), le mouvement de Farrakhan. Il affirme que le rassemblement de tant de Noirs communiant entre eux avec une telle ferveur l'aurait ému aux larmes, nonobstant sa piètre maîtrise de l'anglais, qui lui permet seulement de capter des bribes des discours et prières. [...] Impressionné par le prêche du frère Karim D. Muhammad, il intègre les Black Muslims français, à 18 ans. «J'étais le plus jeune membre de l'organisation sur Paris. J'ai appris plus durant cette année et demie que durant toute ma scolarité.» Le samedi, «frère Stellio» vend vers Château-d'Eau ou aux Halles l'organe officiel - rédigé en anglais - du mouvement de Louis Farrakhan, Final Call.
[...] Mais, au fil de ses lectures, frère Stellio s'éloigne du Coran, à mesure qu'il découvre l'histoire de l'Egypte ancienne, antiqua mater des Noirs. En décembre 2002, avec trois amis qu'il a rencontrés à la fac, Joce, Evens et Raheem, il fonde le Parti kémite, au retour d'un voyage en Egypte. C'est au même moment qu'il adopte son «vrai» nom, le seul qui soit connu depuis qu'il a fait de son nom d'état civil un secret bien gardé: Kemi Seba, qui signifie «étoile noire» en égyptien ancien.
[...] En décembre 2004, [il publie] un texte sur Internet. Intitulé: «R(évolution): pourquoi je fonde la Tribu Ka», il s'agit du libelle de rupture avec ses anciens camarades qu'il traite depuis quelque temps déjà de «nègres incapables de s'affranchir physiquement ou mentalement de leur maître blanc, arabe ou juif». Exit, donc, le Parti kémite, qui s'éteindra; la Tribu Ka voit le jour «au moment où Horus a vaincu Seth», au prix d'une scission. Ka est l'énergie créatrice, mais ce sont aussi les initiales de «Kémite atonien». Les adeptes du culte d'Aton prétendent parler entre eux le medu neter, la «translitération» des hiéroglyphes. En dépit de leur formule de salutation, hotep, signifiant «paix», l'irénisme n'est pas leur fait. «Je tiens à préciser que ceux qui m'ont trouvé raciste, extrémiste, illuminé par ma foi lorsque j'étais porte-parole du Parti kémite ne devraient pas s'intéresser à la Tribu Ka. Car le choc que vous avez eu par rapport au Parti kémite ne sera qu'un en-cas en comparaison de ce que fera la Tribu Ka», prévient Kemi Seba. Il tiendra son engagement. Le 22 mai 2005, à Paris, lors de la marche commémorant l'esclavage et la traite négrière que la Tribu Ka co-organise avec le Collectif des filles et fils d'africains déportés (Coffad), Kemi Seba empêche une «leucoderme» - Blanche - de s'exprimer à la tribune sur la Palestine. En septembre, pour avoir apostrophé dans une diatribe publiée sur Internet - «Le bal des vendus» - le président du collectif DOM comme «marionnette en chef de la création gouvernementale», «100% libanais et 0% kémite», Kemi Seba est assigné en justice par Patrick Karam pour «diffamation publique» et «provocation à la discrimination raciale». Le 6 décembre 2005, n'ayant pas déféré à une convocation du juge Nathalie Turquey, il fait l'objet d'un mandat d'amener au tribunal de grande instance de Paris qui le met en examen. Pour combattre l'«antikémitisme», Kemi Seba affirme que son mouvement s'est doté d'une «armée» composée de medzatones, «des frères ayant subi le processus et un entraînement physique Ka».
[...] Le 22 février [dernier, NDLR], Kemi Seba se porte au secours de Youssouf Fofana, Français noir accusé d'avoir, à la tête du Gang des barbares, enlevé, séquestré, puis torturé à mort Ilan Halimi, un Français de confession juive. En pleine recherche policière du présumé coupable, Kemi Seba adresse ce courriel à différentes organisations juives: «[...] Une véritable chasse à l'homme se dessine envers Youssouf Fofana, accusé par votre communauté d'être responsable de la mort de l'un d'entre vous. Nous n'irons pas par quatre chemins, que notre frère soit coupable ou pas, nous vous prévenons que si d'aventure il vous prenait l'envie d'effleurer ne serait-ce qu'un seul des cheveux du frère, au lieu de lui laisser avoir un procès équitable, nous nous occuperons avec soin des papillotes de vos rabbins».

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(Extrait d'articles de Marianne du N° 468 Semaine du 08 avril 2006 au 14 avril 2006)

Commentaires

Titophe a dit…
Ouf! Un peu long, pas le temps de lire aujourd'hui. Je reviendrai
Pr EFL a dit…
Bonjour Titophe,

C'est vrai qu'il est très long sur le Net. Dans "Marianne" de Jean-François Kahn, il paraît moins long, et en plus il y a des photos pour augmenter le plaisir de découvrir le contenu. Bon il faut un tri !
Karim BENAMOR a dit…
Si cela vous interesse, écoutez les réponses de Basile Boli lors de l'interview qu'il a accordé à Karim BENAMOR en direct sur Radio Tunis Chaîne Internationale. Il y parle de la mission sur la diversité que lui a confié Nicolas Sarkozy et de son engagement politique: Lien vers l'interview de Basile Boli

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